Marseille, Besançon, Grenoble, Rennes, Poitiers : le bruit des rafales de mitraillettes et les morts par balle perdue, lors de règlements de comptes pour garder le contrôle d’un point de deal, semblent réveiller (enfin) une partie de la classe politique française sur l’augmentation dramatique du trafic de drogue et la corruption au plus haut niveau qui le rend possible.
Le 8 novembre, lors d’une conférence de presse commune à Marseille, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et le Garde des sceaux, Didier Migaud, ont présenté un projet de loi visant à mettre fin à la « mexicanisation » de la France.
Avec 5 millions de consommateurs de cannabis, 700 000 de cocaïne, 130 000 d’héroïne et 400 000 d’ecstasy, la France constitue déjà un marché de 6 millions de clients. Dépassant 6 milliards d’euros par an, les revenus potentiels dépassent les 30 milliards.
L’appât du gain est tel qu’il n’est pas rare de voir des trafiquants s’attaquer à des concurrents au cours d’un « go-fast », un convoi de véhicules lancé dans une course contre la montre pour exfiltrer leur butin hors de France, direction l’Espagne ou le Luxembourg. La carrière d’un dealer s’étale sur une dizaine d’années, entre ses 15 et 25 ans environ. Il ne se drogue pas, ça c’est pour les clients. Ce petit bourgeois, le meilleur élève de l’idéologie ultralibérale et capitaliste, ne pense qu’à s’enrichir sans travailler, un peu comme pour les hautes sphères du système financier. Pendant cinq ans, il va ramer pour devenir chef de point de deal. A 20 ans, il abat son patron, étape obligée de sa carrière, pour prendre sa place. A 25 ans, il doit se planquer s’il ne veut pas être abattu à ton tour. Il s’installe alors à Dubaï ou à Malaga, en Espagne. C’est un univers impitoyable.
Face à cela, nous avons un monde financier au-delà du complaisant, devenu acteur. C’est ainsi qu’en 2008, rapporte l’ONU, des banques plombées par leurs spéculations calamiteuses, frôlant la faillite suite au gel du marché interbancaire, n’ont survécu qu’en absorbant plusieurs centaines de milliards d’argent criminel, notamment de la drogue. Wachovia, HSBC, JP Morgan, Deutsche Bank et, il y a un mois, Toronto Dominian Bank, ont toutes été condamnées à des amendes record pour blanchiment d’argent sale, mais échappent à toute condamnation au pénal et leurs dirigeants continuent à exercer !
Les autorités conseillent à leur police de regarder ailleurs, car ces banques organisent l’optimisation fiscale des grandes entreprises et le financement occulte des partis politiques. La corruption molle accouche d’une corruption dure qui risque de nous être fatale. Face à cela, les forces de police sont démantelées et désorganisées. En Belgique et aux Pays-Bas, des réformes calamiteuses de la police judiciaire ont mis ces pays aux prises avec une narco-finance mafieuse sans pitié. La France suit le mouvement.
Se basant sur les propositions formulées par l’ancien magistrat anti-terroriste Jean-François Ricard, soutenues par l’ancien ministre Éric Dupont-Moretti et reprises par le rapport parlementaire de mai 2024, nos deux ministres, dans leur projet de loi, réclament la création de toute urgence d’un Parquet national anticriminalité organisée (PNACO), afin de traiter le trafic des stupéfiants comme une expression du crime organisé – mais malheureusement sans articulation avec le Tracfin, le service de renseignement financier de Bercy.
Elément positif, la protection des repentis serait renforcée, comme le juge Giovanni Falcone l’avait obtenu en Italie. Enfin, les trafiquants de drogue « haut du spectre » seront placés dans des zones spécifiques des prisons, sans accès aux smartphones.
Cependant, si la justice et la police doivent pouvoir agir à tous les niveaux, ce n’est qu’en frappant les trafiquants « au portefeuille » qu’on pourra en venir à bout. Sans cela, pour chaque point de deal ou réseau démantelé, un nouveau apparaîtra aussitôt. Tout dépendra donc des moyens qu’on y mettra, car vu le nombre d’affaires, le PNACO risque d’être rapidement saturé, faute de moyens et de personnel. La narco-finance ne réduit pas ses dépenses pour faire plaisir à Bruxelles. Saurons-nous en faire autant ?
Liste de mesures supplémentaires
A la liste des dix mesures (incluant la pénalisation des banques qui font vivre les paradis fiscaux) détaillées dans la brochure Trafic de drogue, mafia, oligopole financier - Pour la France, c’est vaincre ou périr ! publiée par Solidarité & Progrès en décembre 2023, s’ajoutent ces trois mesures supplémentaires :
- Cesser de vendre notre dette aux banques de la drogue.
L’agence France Trésor, qui émet des bons du trésor à un groupe restreint de banques, afin de faire « rouler » la dette en obtenant de ces prime brokers les moyens pour la refinancer, doit cesser d’en offrir des titres à des banques mises en cause pour blanchiment d’argent de la drogue et du terrorisme. En 2020, l’enquête menée par l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) et une centaine de médias internationaux a révélé qu’entre 1999 et 2017, près de 2000 milliards de dollars de transactions suspectes avaient transité par de grandes banques. Parmi les prime brokers impliqués, JP Morgan, Deutsche Bank et la banque britannique HSBC, cette dernière n’ayant évité sa condamnation au pénal que grâce à sa taille sur le marché mondial et au chantage des autorités britanniques (voir notre enquête). Prétendre vouloir lutter contre le blanchiment de l’argent criminel sans arrêter une finance criminelle et prédatrice est pire qu’une lâcheté. - Réguler sévèrement le Darknet et les cryptomonnaies non-étatiques jusqu’à étouffer leurs activités.
DARKNET : selon Europol, sur les sites illégaux du darknet, véritables paradis fiscaux numériques, 60 à 70 % des ventes concernent des drogues ou des produits pharmaceutiques, largement utilisés pour le trafic de substances nécessaires à la production ou à la transformation de drogues (fentanyl, oxycodone, hydrocodone, méthamphétamine, héroïne, cocaïne, ecstasy, MDMA, cannabis et autres produits « pharmaceutiques »).
CRYPTOS : ces ventes ne se règlent pas par carte bancaire mais en cryptomonnaies, essentiellement du bitcoin, reconverti par d’habiles agents de change en monnaie utilisable au quotidien. Contrairement aux annonces rassurantes, trafiquants, pédocriminels et autres ont vite appris comment y préserver leur anonymat. La France compte pourtant une dizaine d’institutions financières qui facilitent les opérations en cryptomonnaies, notamment Boursorama, Fortuneo, Hello Bank ! Revolut, N26, Yuh, Banque Delubac & Cie, Société générale et Trade Republic. Chaque crypto sert de paradis fiscal et chaque paradis fiscal est un point de deal. Etouffer puis mettre un terme à leurs activités s’impose si l’on veut réellement combattre le trafic. - Bannir les smartphones des prisons.
Chaque détenu doit avoir accès à un téléphone. Pour cela, les centres pénitentiaires disposent de « point-phones ». Cependant, grâce à l’introduction de smartphones dans les prisons, des narco-trafiquants peuvent, depuis leur cellule, continuer à organiser leur trafic et payer des tueurs à gages pour préserver leurs points de deal. En principe interdits (comme le shit), les smartphones sont, de fait, tolérés partout, pour acheter le calme et faciliter le fonctionnement quotidien d’un système pénitentiaire au bord de l’explosion. C’est donc toute une politique de santé publique et, en amont, de protection de l’enfance et de la jeunesse qui est à refonder.
Conclusion
Ces mesures ne peuvent avoir de réelle efficacité que dans le cadre d’une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement économique mutuels, par nature incompatible avec la spéculation financière criminelle. La sécurité intérieure est en relation directe avec l’environnement extérieur, au sein duquel la France doit jouer son rôle et tenir son rang.