Ce texte est extrait du programme présenté par Jacques Cheminade à l’élection présidentielle de 2017. Notre gouvernement ne se dotant pas des moyens à la mesure des défis de notre époque, il reste plus que jamais d’actualité.
C’est dans les communes qu’est la force des peuples libres.
Alexis de Tocqueville
L’Etat doit respecter la liberté des communes : c’est qu’en matière d’enseignement philosophique et moral, l’Etat ne peut approprier son enseignement à la diversité de tous les esprits et de tous les milieux.
Jean Jaurès à l’Assemblée nationale
Depuis 10 ans, les réformes concernant les collectivités territoriales se multiplient, mais aucune ne répond aux attentes des territoires ruraux et toutes, pour l’essentiel, sont déterminées par des priorités financières et non par l’intérêt de leurs habitants. Les lois ont eu pour intention de supprimer notre triple identification à la commune, au département et à la patrie en lui substituant un triptyque intercommunalités/régions-métropoles/Union européenne.
Je ne conteste pas la nécessité de régions et d’intercommunalités, ce qui serait absurde et démagogique. Je conteste leur dévoiement. Les schémas d’intercommunalité sont élaborés d’en haut par la bureaucratie d’Etat, sans mesurer sur le terrain si ces schémas améliorent ou pas les solidarités économiques et humaines.
Les régions restent dépendantes pour leurs ressources et les métropoles deviennent, dans ce contexte, des pompes aspirantes de compétences. Fortes de leurs ressources, elles empêchent les départements de jouer leur rôle de redistribution en faveur des territoires ruraux et empiètent progressivement sur la souveraineté nationale au sein d’une réorganisation du territoire en « taches de léopard », autour de nouveaux barons étendant leur activité à l’international.
L'absence de coordination entre métropoles, départements et régions incite à se demander si cette usine à gaz a été créée pour ne pas fonctionner.
L’Union européenne, enfin, telle qu’elle est, joue le rôle de cet « empire non impérial » et non démocratique évoqué il y a quelques années par José Manuel Barroso, coiffant le tout et basé sur la servitude volontaire des « élites politiques ».
Cela ne signifie pas que les intercommunalités, les régions, les métropoles et une Europe des patries soient en elles-mêmes à rejeter mais que, dans la logique financière dominante, ces quatre échelons sont utilisés pour étrangler l’exercice de la démocratie de base et de la citoyenneté nationale. Je dénonce absolument cet étranglement voulu. Non par chauvinisme, mais parce que cet étranglement est voulu par les marchés financiers. Je partage la colère et le désarroi de ceux qui subissent ce traitement.
Pour un Etat stratège du territoire
L’Etat, pour commencer, ne doit plus se soumettre à une vision comptable de l’organisation du territoire, mais redevenir stratège de son aménagement harmonieux.
Pour cela, je défendrai les principes suivants :
- Remettre tout à plat en revenant à une concertation véritable entre l’Etat, les collectivités territoriales et leurs citoyens dans le cadre d’une France libérée de son occupation financière. Sans cette libération, la concertation n’aurait aucun sens.
- Introduire à chaque niveau de responsabilité territoriale, et sans dilution excessive dans les entités nouvelles, une spécialité, un financement et une direction. J’entends ainsi organiser un enchaînement clair de responsabilités :
- Spécialité : les services de proximité pour la commune, le social pour le département et l’économique pour la région. Les administrés doivent savoir clairement qui est responsable de quoi. C’est dans ce contexte que l’intercommunalité pourra jouer un rôle de coordinateur et non devenir une source d’abus et de doublons dans le millefeuille. La région ne doit pas être « un contre-pouvoir face à l’Etat central » mais un échelon indispensable dans les domaines du développement économique (cf. ma proposition d’un crédit d’impôt industries-région), notamment en animant des conférences territoriales de l’action publique, et de la formation professionnelle.
- Financement : une même ressource par type de collectivité, afin que soit clarifié le rôle de chacune dans la pression fiscale. Les administrés doivent savoir qui leur fait payer quoi et pour faire quoi.
- Direction : tout élu doit détenir un seul mandat, sauf en ce qui concerne sa participation au Sénat, qui doit représenter les territoires. La conduite de la collectivité doit en effet pouvoir être identifiée à une personne et une équipe.
Dans ce contexte, un statut harmonisé de l’élu local doit être enfin mis en place, en même temps que l’interdiction du cumul des mandats, qui permet aujourd’hui de verrouiller l’accès aux postes de pouvoir, notamment à l’encontre des jeunes et des femmes. Tout mandat nécessitant une activité à temps complet doit être exclusif.
- Revenir à des régions ayant un sens économique, en fonction des souhaits de leurs citoyens et des nécessités de l’aménagement du territoire. Les régions actuelles sont une aberration conçue dans des bureaux pour des raisons essentiellement politiques. Il faut redessiner une carte des régions en tenant compte de la mise à disposition des services, non pas mesurée en distances kilométriques mais en temps de déplacement requis.
- Imposer le respect de chaque échelon : les 16 métropoles régionales qui existeront en 2017 ne doivent en aucun cas s’emparer des compétences des départements (action sociale, tourisme, collèges et culture, logement...) sans leur accord. Il faut bloquer la pompe aspirante légalement autorisée. La métropolisation va de pair avec une mondialisation financière aux antipodes du nouvel ordre mondial que je défends, fondé sur le développement mutuel. La clause de compétence générale doit être rétablie pour que les départements puissent intervenir dans tous les domaines présentant un intérêt public sur leur territoire. C’est un moyen de faire respecter le principe de proximité.
- Mettre en place un solide dispositif de péréquation combinant le vertical (attribution globale de plus de moyens financiers aux collectivités les plus pauvres) et horizontal (accroître le reversement des ressources des collectivités les plus riches aux plus pauvres). Ces péréquations existent, mais elles sont notoirement insuffisantes. Je lancerai une réflexion d’ensemble sur leur application, pour rendre concret le principe de solidarité.
- Arrêter de réduire les dotations aux collectivités tout en augmentant leurs responsabilités, pour ensuite se permettre des « cadeaux », comme François Hollande l’a fait en juin 2016 en réduisant l’effort des communes et des intercommunalités. Se livrer à ces jeux d’influence n’est pas le rôle d’un chef d’Etat.
- Encourager les démarches participatives, en prenant exemple sur ceux qui en ont fait l’expérience : budgets participatifs, participation des jeunes à la vie municipale, référendums d’initiative citoyenne (prévus par la loi depuis 2003), engagement dans la gestion des régies publiques, organisation d’une gratuité responsable dans les réseaux publics de transport, etc.
- Multiplier les maisons de service public en milieu rural, à la charge de l’Etat, en se fixant un objectif de 1000 avant 2018. Dans les banlieues, multiplier les « maisons du citoyen », rassemblant elles aussi en un même lieu les principaux services, avec un soutien à l’enseignement du français pour les familles et un service d’interprétariat en phase de transition.
Défendre la commune, lieu de résistance à l’austérité financière
Les ruralités ne sont pas les terrains vagues de la France en voie de métropolisation, mais représentent près de 44 % de notre population totale. Leurs élus remplissent une fonction de proximité essentielle, dans un territoire qui autrement se décomposerait. Ils ont besoin de disposer des moyens humains et financiers leur permettant de remplir correctement leurs fonctions. Ils entendent légitimement que leurs administrés disposent de services publics équivalant à ceux des zones urbaines et veulent conserver la maîtrise du développement économique de leurs communes. Porter atteinte à cela reviendrait à détruire le fondement sur lequel repose notre République.
Aussi prendrai-je les initiatives suivantes pour arrêter cette destruction :
- Ne plus marginaliser les territoires ruraux en créant des régions trop vastes (cf. ci-dessus).
- Renoncer à constituer des intercommunalités aussi étendues que possible, absorbant les compétences essentielles et les ressources des communes. Il ne s’agit pas de supprimer les intercommunalités mais de les composer en fonction des bassins de vie, par décision commune et non par injonctions venues d’en haut, sans réelle réflexion ni consultation démocratique sur le terrain. L’intercommunalité ne doit pas être une antichambre à la disparition des communes, précédée par l’abandon du principe d’égalité entre leurs maires, mais une opportunité de mettre des moyens en commun entre égaux. Elle ne doit pas pouvoir siphonner les compétences des communes à la majorité simple de leur population. Par ailleurs, l’élection des conseillers des intercommunalités au suffrage universel direct ne doit pas se faire (la loi prévoit en effet que l’échelon intercommunal se verra conférer « le moment venu, toute légitimité démocratique »). Les petites communes se verraient alors étouffées, entérinant l’abolition de « l’exception communale française » voulue par Bruxelles. Il faut arrêter cette dérive. Ajoutons qu’en tout état de cause, une commune estimant que ses intérêts vitaux sont lésés doit pouvoir exercer son droit de retrait.
- La politique de « compétitivité urbaine » poursuivie par l’Etat en faveur de la constitution de grandes métropoles, susceptibles de rivaliser avec les autres métropoles européennes ou mondiales, doit laisser place à une politique de développement harmonieux des territoires. J’y veillerai, car la métropolisation accompagne une mondialisation financière aux antipodes d’un ordre mondial fondé sur le développement mutuel.
- Décentralisation et déconcentration devront avoir pour contrepartie une transparence accrue des budgets, permettant leur discussion citoyenne. Cela renforcera l’attachement des citoyens à leur commune.
- La couverture internet à haut débit doit être financée par l’Etat ainsi que le déploiement du très haut débit (cf. en annexe, ma proposition de création d’un service public). Le désenclavement des communes rurales est à ce prix.
- La réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) doit se faire au plus vite afin que le citoyen d’une commune rurale pèse autant que celui d’une commune de 300 000 habitants. En même temps, les « contrats de ruralité » ne doivent pas servir à financer les politiques d’un Etat défaillant (accessibilité, implantation de gendarmeries, contribution excessive des communes aux centres de secours et de lutte contre l’incendie).
- Les indemnités que perçoit l’élu municipal ne doivent pas être intégrées dans la base imposable de l’impôt sur le revenu. Les indemnités des maires des communes de moins de 1000 habitants ne doivent pas être corsetées, au risque d’écarter encore davantage les vocations à exercer cette fonction. La tendance à remplacer insidieusement tout salaire ou indemnisation par un bénévolat total, alors que par ailleurs les inégalités sociales augmentent en faveur des privilégiés urbains, est scandaleuse. C’est la politique officiellement poursuivie en Grande-Bretagne par les gouvernements conservateurs, sous des prétextes hypocrites.
Je me battrai donc pour qu’une logique de développement, mobilisant les acteurs locaux sur des « périmètres de projet », prévale sur une logique d’administration de circonscriptions aussi étendues que possible. Celles-ci ont été conçues afin de suppléer à la disparition des services publics de l’Etat et d’imposer une austérité sociale destructrice. C’est pour moi inacceptable.
Continuer une réforme territoriale dans une logique d'austérité en éliminant les points de résistance est inadmissible.
Disons-le franchement : le vrai problème est la domination des grands partis politiques, gavés d’argent public et de sources souvent plus douteuses, sur les villes de plus de 50 000 habitants. Plus du quart de leurs maires sont des salariés de partis politiques, alors qu’en 1983 ils n’étaient que 0,8 %. Les « catégories populaires », comme disent les experts, ne sont pratiquement plus représentées parmi les maires LR et socialistes des grandes villes. C’est là que se trouve le nœud gordien à trancher et non dans une réforme territoriale dévoyée, qui est à la fois une diversion et une soumission au système oligarchique d’une Union européenne qui n’est plus l’Europe mais un relais du mondialisme financier.
Le vrai problème est la domination des grands partis politiques, gavés d’argent public, sur les villes de plus de 50 000 habitants.
ANNEXE :
Faire de l’accès au numérique un service public
Sans un accès universel au numérique digne de ce nom et couvrant l’ensemble du territoire, l’économie du futur aboutira à une multiplication des irrégularités et à un démaillage territorial. Rappelons que pour un nombre grandissant de nos PME comme de nos agriculteurs, qui se couvrent sur les marchés, utilisent des images satellitaires et déploient leurs drones pour optimiser leurs récoltes, l’accès au numérique est déjà un enjeu tout aussi existentiel que l’accès à l’électricité, au gaz ou à l’eau potable. Chez les jeunes ménages, cet accès au numérique est un élément à la fois de leur mode de vie et de leur travail..
En France, plus de 300 communes restent des « zones blanches » ne disposant toujours pas de la téléphonie mobile la plus élémentaire (2G), et plus de 2200 communes n’ont pas accès à internet sur le téléphone portable (3G et 4G).
En clair, alors qu’on nous fait miroiter les progrès fantastiques du tout numérique, en nous affirmant qu’on peut remplacer les médecins généralistes par des centres de télémédecine, et que l’on préconise la dématérialisation d’à peu près tous les services et formalités administratives, en pratique, on ne peut même pas téléphoner à partir d’un mobile ou envoyer un SMS depuis le bourg de 309 de nos communes ! Pour se dédouaner, on nous précise que les 3800 plus petites communes de notre pays accueillent à peine 1 % de la population, alors qu’il s’agit tout de même de 666 000 citoyens qui se battent pour faire exister ces territoires.
Bien que cette situation soit totalement inacceptable, les opérateurs privés qui se concentrent avant tout sur les zones que leurs actionnaires estiment rentables (grandes agglomérations densément peuplées) se moquent bien de l’aménagement numérique du territoire.
Alors que l’on compte toujours d’innombrables « zones blanches » (zéro opérateur) et encore davantage de « zones grises » (un seul opérateur), les opérateurs ont traîné les pieds pour couvrir en 2G avant fin 2016, même pas l’ensemble des communes, mais l’ensemble des centres-bourgs (périmètre de 500 mètres autour de l’église…).
« Le mobile n’est pas un service public », a asséné Stéphane Richard, le PDG d’Orange.
« Les zones blanches marquent les limites de l’économie de marché… » En attendant, ce sont les contribuables, via l’Etat et les collectivités territoriales, qui sont appelés à mettre la main à la poche.
Le 25 novembre, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a sommé les opérateurs de respecter leurs obligations de déploiement mobile en zones rurales. « La connectivité de tous les territoires, en particulier en mobile dans les zones les moins denses, » reste une priorité, martèle le régulateur.
Haut débit
S’agissant du haut débit (3G et 4G, requis pour internet), la situation est bien pire. L’Arcep précise :
« Les autorisations d’utilisation de fréquences contiennent des obligations spécifiques de couverture de la zone peu dense, constituée de plus de 22 500 communes rurales, représentant 18 % de la population mais 63 % du territoire. Les opérateurs titulaires de fréquences 4G en bande 800 MHz (Bouygues Telecom, Orange et SFR) sont tenus de couvrir, d’ici le 17 janvier 2017, avec la bande 800 MHz, 40 % de la population de cette zone peu dense. »
Quant aux 60 % restants (c’est-à-dire environ 13 500 communes), ils le seront à 90 % d’ici cinq ans et à 97,7 % d’ici au 17 janvier... 2027 !
Rappelons que pour un nombre grandissant de nos PME comme de nos agriculteurs, qui se couvrent sur les marchés, utilisent des images satellitaires et déploient leurs drones pour optimiser leurs récoltes, l’accès au numérique est déjà un enjeu tout aussi existentiel que l’accès à l’électricité, au gaz ou à l’eau potable. Chez les jeunes ménages, cet accès au numérique est un élément à la fois de leur mode de vie et de leur travail.
Et on ne parle même pas du « très haut débit » qu’apporte la fibre optique et qui devient incontournable pour la révolution numérique de demain.
Service public
Le moment est donc venu pour l’Etat français de reprendre les choses en main en créant sans attendre un grand service public du numérique. Rappelons qu’en France, par service public, on entend une « activité d’intérêt général prise en charge par une personne publique ou par une personne privée mais sous le contrôle d’une personne publique ».
Cette nouvelle institution fournira, à des tarifs réglementés, un accès universel au numérique haut de gamme sur l’ensemble du territoire. Comme pour la fourniture d’électricité, l’accès au numérique concourt à la cohésion sociale, au moyen de la péréquation nationale des tarifs. Notre Banque publique d’investissement, renforcée et pourvue de nouveaux moyens, sera missionnée pour créer un effet boule de neige dans cet effort d’équipement.
S’inspirant de ce qui fut fait pour l’électricité depuis 1946, la loi créant ce service devra donc s’écrire ainsi : « Matérialisant le droit de tous au numérique haut de gamme, un service de première nécessité, le service public du numérique est géré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d’efficacité économique et sociale. »
Il ne s’agit pas d’imposer d’en haut des solutions toutes faites mais de travailler avec les collectivités territoriales pour mettre au point, en fonction des besoins et des territoires, la panoplie des meilleures solutions techniques (ADSL, fibre optique, satellite, etc.) capables de garantir cette offre au plus vite. Si les abus des opérateurs privés sont sévèrement sanctionnés, ils restent évidemment des partenaires majeurs de l’Etat.
Il y a déjà quelques années que le Japon et la Corée, où plus de 90 % de la population profite d’un accès à un numérique de bonne qualité, ont réussi à éradiquer les « zones blanches ». Rien n’empêche la France d’en faire autant.